Pour contextualiser, vous trouverez ci-dessous des tracts diffusés lors des deux journées de solidarité qui ont eu lieu à Sassari et à Bancali, les 25 et 26 juin dernier.
L’ANARCHISME MIS AU BAN
Septembre 2016 : le Parquet et la DIGOS [la police politique ; NdT] de Turin, dirigés par le procureur Roberto Sparagna (qui travaille aujourd’hui à la Direction Nationale de l’Anti-mafia et de l’Antiterrorisme, à Rome), déclenchent l’opération Scripta Manent, à travers toute l’Italie.
25 mai 2022 : le long parcours juridique de cette affaire arrive en Cour de cassation [cette dernière confirme en juillet l’accusation de « massacre politique » pour l’une des actions dont Alfredo et Anna sont accusés, ce qui pourrait signifier un important rallongement de leurs peines ; NdT].
Entre-deux : l’anarchisme, celui qui passe à procès et celui qui continue de s’exprimer par la critique et par l’attaque sans compromis contre le Pouvoir, les hommes et les femmes qui le représentent et les structures qui en permettent le fonctionnement. Nous le savons : ces quelques lignes ne sont pas assez pour tout raconter. D’ailleurs, la perspective de la justice, des tribunaux, des enquêtes, de la presse, n’arrivera jamais à comprendre et à expliquer ce que c’est la vie, encore moins ce que sont les vies des révolutionnaires, de tous ceux et toutes celles qui n’acceptent pas la liberté comme quelque chose que les puissants et les gouvernants doivent ou puissent nous octroyer.
Et pourtant c’est de cela que nous sommes en train de parler, parce que les décisions prises lors de la première et de la deuxième instance du procès [et en Cassation ; NdT] auront un effet important : Alfredo a été condamné à 20 ans (récemment, il a été placé sous le régime de détention, très dur, du 41bis et il a été déporté dans la taule sarde de Bancali), Anna à 16 ans et demi.
Nous n’allons pas faire la liste des délits dont ils (et les autres 22 inculpés) sont accusés, cela ne nous intéresse pas, ce n’est pas notre façon d’interpréter le monde. Ce que nous savons c’est qu’ils sont, tous, des compagnons cohérents et conséquent, conscients du fait que la guerre contre la domination, la solidarité révolutionnaire, la complicité entre opprimés ne peuvent pas être exprimés seulement par des mots, que la guerre c’est la guerre, que le choix de camp de l’anarchisme n’est pas un hobby, que l’utilisation de la violence, et le fait de briser le monopole que l’Etat en détient, sont des choix nécessaires, bien que non faciles.
C’est le fait d’être tout cela, des compagnons anarchistes révolutionnaires cohérents, qui les a amenés là où ils se retrouvent : en taule ; le Code pénal est un instrument du Pouvoir, qui bien entendu s’en sert habilement et comme bon lui semble, et qui est modifié à la suite des différentes exigences répressives, que l’Etat utilise pour se maintenir en vie, s’auto-acquitter chaque fois et inverser le sens des mots. Et c’est ainsi que l’Etat des massacres, des guerres, des éloignements des migrants, des morts sur le travail, des massacres dans les prisons, cet Etat accuse précisément de massacre les auteurs présumés d’une série d’attaques explosives qui, disons-le avec honnêteté et un petit peu d’amertume, n’ont blessé personne.
Et après Scripta Manent, il y a déjà un autre procès, avec les mêmes chefs d’inculpation, celui contre notre compagnon Juan [en juillet, il a été condamné à 28 ans de prison, pour une bombe devant la porte du local de la Lega, preso de Trévise ; NdT].
Qu’ils soient ou pas les auteurs, désespérément recherchés par l’Etat,des attaques en question, cela ne nous intéresse pas. Nous éprouvons de la joie quand quelqu’un arrive à renvoyer à l’expéditeur une petite partie de la violence étatique, nous nous identifions avec la lutte anarchiste et avec toutes les pratiques qui, le long de l’histoire, en ont marqué la croissance, nous ne répudierons jamais des compagnons à cause de leurs actes révolutionnaires et, bien sûr, nous ne les oublierons pas maintenant, quand ils sont enfermés entre quatre murs. Le petit jeu des « gentils VS méchants » que l’Etat essaye de mettre en place, encore et encore, n’a pas marché par le passé et ne marchera pas aujourd’hui.
Nous le réaffirmons haut et fort :
ALFREDO, ANNA, JUAN ET TOU.TES LES AUTRES PRISONNIER.ES RÉVOLUTIONNAIRES SONT NOS COMPAS, ILS/ELLES NE SONT PAS SEUL.ES.
C’est l’Etat qui massacre !
Controns la répression, défendons les pratiques révolutionnaires !
Non au 41bis, liberté pour tout.es !
LE RÉGIME 41bis, DE QUOI S’AGIT-IL ?
Des 13 sections des prisons italiennes où est appliqué le régime 41bis, la seule qui a été considérée comme « adaptée » se trouve à Bancali [dans la commune de Sassari, en Sardaigne ; NdT] ; elle est située sous le niveau du sol, là où la lumière du soleil n’arrive jamais et les cellules font face à un mur. Le régime de détention connu avec le nom de 41bis est un régime de torture. Une torture légalisée qui permet de garder les prisonniers et les prisonnières qui y sont assignés dans un état d’isolement et de privation sensorielle presque complet. La clef pour créer le 41bis, introduit en 1992, après le massacre de Capaci*, a été la lutte contre les organisations mafieuses, de façon qu’exprimer son opposition à ce traitement carcéral a toujours été quelque chose de taboue.
Considéré à ses débuts comme transitoires, ce régime est devenu définitif en 2002 et il a été élargi, entre autres, aux personnes accusées de délits avec finalité de terrorisme et de subversion politique. Il peut être imposé aussi à des prévenus et même à des personnes non inculpées pour ce délits ou qui, simplement, ont commis des délits qui favorisent les ainsi-dites organisations criminelles sans en faire partie. Il s’agit d’une suspension des règles de traitement indiquées dans les décrets du Ministère de la Justice, dont l’avis est influencé par l’opinion du Parquet chargé des enquêtes, par les informations fournies par les forces de police et, de plus en plus, par la Direction Nationale Anti mafia et Antiterrorisme. La vie des prisonnières et des prisonniers soumis à ce régime spécial est réglementée dans chaque instant de la journée.
La cellule doit être équipée seulement de l’ameublement essentiel : lit, table, armoire, chaise ou tabouret, miroir en plexiglas et télé, les casseroles, deux maximum, ont des mesures préétablies. On ne peut pas recevoir de l’extérieur des aliments qu’il faut cuire, il y a des limites à ce qu’on peut cantiner et dans l’argent qu’on peutrecevoir desa famille.
La télé peut transmettre seulement des chaînes nationales. Pas de chaussures où l’on puisse cacher des objets. Les photos accrochées aux murs et les objets personnels sont réglementés. Il y a deux heures de promenade, quatre détenus maximum à la fois, complètement isolés. Dans la cellule, on ne peut pas garder plus de 4 livres, qu’on a pris dans la bibliothèque de la prison ou qu’on a commandé à partir de la prison : on ne peut pas en recevoir par courrier ou lors des parloirs ; on ne peut pas recevoir des journaux de la région d’où on est originaire. Le courrier, en entrée ou en sortie, passe à la censure. La composition du groupe de socialité, quatre personnes maximum, est choisie par la direction de la prison, qui décide donc avec qui on peut avoir des rapports et quand, éventuellement, ceux-ci seront brisés. En dehors du groupe auquel on est assigné, il est interdit d’acceder à tout espace commun, ainsi que d’avoir toute forme de contact avec d’autres détenus, même un simple bonjour. On est constamment surveillé par le groupe spécial de l’Administration Pénitentiaire, le GOM, sinistrement connu pour les passages à tabac à la caserne Bolzaneto, à Genes, en 2001, et dans l’ancienne prison de San Sebastiano, à Sassari, en 2000. Les parloirs avec la famille sont limités à un par mois et le contactphysique est rendu impossible par une vitre de séparation. Ceux qui ne font pas de parloirs, et seulement après six mois d’enfermement, peuvent obtenir l’autorisation à passer un appel par mois, de la durée de dix minutes, à des membres de leur famille qui, pour ce faire, doivent se rendre dans la prison la plus proche de leur domicile. Les parloirs sont filmés et enregistrés. La participation aux procès se fait exclusivementpar visio-conférence, ce qui crée des difficultés énormes pour la defense, ainsi qu’une disparition progressive de la présence active de l’inculpe et de l’inculpée au tribunal. On ne peut pas rencontrer les défenseurs locaux des droits des prisonniers, mais seulement le défenseur national. On ne peut pas s’inscrire à des associations ou à des partis. Tout cela pendant des années. Pour les plus de 750 détenus soumis au 41bis, la seule manière d’en sortir est la collaboration avec la justice et le repentir ; le temps qui est passé – on y trouve des personnes condamnées à perpétuité – n’est pas une raison suffisante, même pas pour obtenir des remises de peine ou des permissions ou la possibilité de travailler à l’extérieur.
* Note du traducteur : le 23 mai 1992, à Capaci, près de Palerme, une bombe posée par la mafia fait sauter un morceau d’autoroute, au passage des voitures du juge Giovanni Falcone et de son escorte. Le juge, sa femme (magistrate elle aussi) et trois flics meurent, d’autres sont blessés.
[deuxième tract :]
SOLIDAIRES AVEC ALFREDO, CONTRE LA TAULE ET LE 41bis
Dimanche 26 juin 2022, à 17h, rassemblement devant la prison de Bancali.
« La planète meurt, il n’y a qu’une chose à faire : détruire depuis l’intérieur la société technologique et capitaliste dans laquelle nous sommes obligés de vivre »
Alfredo Cospito
Qui est Alfredo.
Alfredo Cospito est un compagnon anarchiste, en prison depuis 2012 parce qu’il a tiré dans les jambes du Directeur général d’Ansaldo Nucleare, un de plus importants responsables du nucléaire en Europe. « Nous ne voulions pas tuer, seulement le blesser, pour bâtir un mur infranchissable face au cynisme technologique et assassin de scientifiques et politiciens sans scrupules » : c’est de cette manière qu’Alfredo explique cette action, pour laquelle il a été condamné à 9 ans et 5 mois de prison. Par la suite, Alfredo a été condamné, en deuxième instance, à 20 ans [la sentence pourrait s’alourdir suite à la décision de la Cour de cassation ; NdT] dans le procès Scripta Manent, où il est accusé, avec d’autres compagnons et compagnonnes, d’association subversive avec finalité de terrorisme. Depuis mai dernier, Alfredo est dans la section 41bis de la prison de Bancali.
Qu’est-ce que c’est la prison.
La prison est l’instrument répressif le plus fort que l’Etat utilise pour maintenir en place l’ordre actuel, fait d’exploités et d’exploiteurs ; y finissent ceux qui ne respectent pas des lois écrites sans notre accord et non pas décidées ensemble. La prison n’est rien d’autre qu’un instrument d’oppression et d’isolement, une punition pour ceux qui ne veulent pas ou ne peuvent pas se soumettre à un système fondé sur le profit de quelques uns.
Qu’est-ce que c’est le 41bis.
Le régime de détention 41bis est de la torture légalisée, qui a pour but l’annihilation de la personne par le biais d’un isolement complet. Le régime 41bis prévoit :
– cellule individuelle de 2 mètres sur 3, avec seulement l’ameublementindispensable
– l’interdiction de recevoir de l’extérieur des livres ou de la nourriture qui doit être cuite
– un nombre limité de photos et d’objets personnels
– 2 heures de promenade, en isolement
– l’interdiction de garder en cellule plus de 4 livres
– 1 parloir par mois, de la durée d’une heure, avec une vitre pour séparer détenu et visiteurs
– censure du courrier
– le détenu participe aux procès seulement par visioconférence
– dans certains cas, des plaques de plexiglas sont apposées sur la fenêtre de la cellule.
« …une section placée sous le niveau du sol, du coup sans air ni lumière naturelle… des espaces réduits et agencés dans le sens de la verticale, de façon que le regard est privé de tout horizon… Cette structure donne une sensation d’oppression, de claustrophobie, de torture psychologique… » Extrait d’une lettre d’un prisonnier détenu en 41bis à Bancali
Pourquoi nous sommes solidaires avec Alfredo.
Parce que nous partageons avec lui la nécessité de détruire cette société fondée sur la destruction de la Terre et sur l’exploitation de toute forme de vie. Parce que, en acceptant le faux confort que cette société pourrie nous offre, nous en devenons complices, même sans le vouloir.
Parce que nous pensons qu’il est indispensable de lutter, avec tout moyen nécessaire, contre la misère de ce monde.